30 août 2005

Enfin libre


L'écriture est une activité profondément frustrante.

C'est franchement paradoxal, puisque la plupart des gens qui commence à écrire se disent: "au moins, dans mes récits, je ne suis pas limité par le principe de réalité, je fais tout ce qui me plait, sans contrainte, je suis seul maître à bord, je suis enfin libre".

Et bardaf, 200 pages plus loin, l'apprenti-auteur découvre qui est esclave de multiples contraintes, et que le seul maître à bord, c'est le récit.

Mais au diable, les règles de la dramaturgie! Si elles sont si contraignante, ne vaut-il pas mieux s'en passer?

Fort bien: je vous montrerai les autres contraintes, celles qui n'ont rien à voir avec la structure du récit.

Premièrement, je cite la contrainte temporelle. L'utime limite pour l'auteur est celle de son espérance de vie. Et s'il est plus ambitieux, il peut se fixer une limite de temps pour terminer un texte. Les Auteurs Inspirés écrivent un roman complet par an. Et c'est à chaque coup un bestseller. La contrainte est la "deadline": il FAUT terminer avant le jour J et peu importe la qualité du résultat. Cette limite engendre la peur de l'échec. La peur de l'échec entraîne le manque de confiance en soi. L'auteur n'écrit plus avec son coeur, mais avec sa peur. Et ça, c'est pas bon. Un auteur qui essaie d'éviter le mauvais est sûr de produire le médiocre. Un auteur qui vise l'excellence n'est sûr de rien, mais tous les résultats sont possibles.

La deuxième contrainte est celle de l'entourage. Elle est profondément liée à la première: une famille, un travail extérieur, des études, des loisirs, toutes les activités de la vie courante (manger, dormir, se laver) réduisent le temps consacré à l'écriture. Un entourage envahissant, une télé allumée, un téléphone branché, un ordinateur connecté, autant de moyens de tout faire sauf écrire. Et donc de louper sa deadline. D'échouer.

La troisième contrainte est celle de la créativité. On peut voir la créativité comme un réservoir dans la tête de l'Auteur: il peut lui arriver de se vider. Même débarassé d'un entourage contre-productif, l'auteur solitaire peut se retrouver bien démuni face à la feuille blanche. Il faut donc remplir le réservoir à idées. C'est une activité très difficile. Humainement impossible dans des délais courts. La deuxième possibilité est de renverser l'image que l'on a de sa créativité: au lieu d'y voir un réservoir qui se vide, pourquoi ne pas y voir un terreau qui se cultive? Chaque petite graine que l'on y sème fait pousser un grand arbre feuillu. D'une petite idée toute simple, on trouve une idée amusante, on rebondi sur un concept intéressant, et finalement on se retrouve avec un tas de matériel créatif à exploiter. Il est important de savoir semer les graines de la créativité. Vouloir trouver une idée en fouillant dans son cerveau aride ne peut mener qu'à un cliché, une copie carbone de ce que l'on a vu récemment à la télé. S'intéresser à l'actualité, à des sujets scientifiques, sportifs, philosophiques ou autres peut mener à la formation d'idées intéressante. Celui qui reste toute la journée devant une feuille blanche à ressasser les quelques grains d'ivraie qui lui restent n'est pas près de se mettre au travail. Il faut savoir préparer le terrain pour que les graines semées y poussent sainement.

La quatrième contrainte est celle de l'excellence. La plupart des gens sont assez motivés pour viser l'excellence. Mais un grand nombre d'entre eux sont assez naïfs pour vouloir s'y tenir tout au long du travail. Ecrire un roman ou un scénario est une tâche de longue halaine. La qualité du texte varie d'un jour à l'autre. Si l'apprenti auteur s'arrête d'écrire lorsqu'il n'est pas à sa meilleure forme, il n'écrit jamais, et la contrainte temporelle le mènera à l'échec. Il faut écrire tout le temps, même les jours sans gloire. Une fois que la première ébauche du roman sera complètement terminée, l'apprenti-auteur pourra mettre ses heures d'excellence à profit pour retravailler les passages médiocres. Cette façon de faire doit être décomplexée, il ne faut pas surligner rageusement les passages que l'on trouve mauvais. Lors de la relecture à tête reposée, ce qui est mauvais sautera aux yeux. Il se peut que le jugement que l'on porte à ses propres écrits change avec le temps.

La dernière contrainte est celle de la liberté. Et oui! La liberté est une contrainte: sans "cadre" dans lequel s'inscrire, l'auteur est libre de tout faire. Il n'a aucun appui. La liberté implique la solitude face à l'oeuvre. Aucune aide. Ecrire en dehors de tout carcant et mener le récit à son but mène soit à un ramassis de merde, soit à un chef d'oeuvre. C'est extrêmement difficile. C'est pour cela que je conseille aux débutants de commencer par écrire dans un style bien précis.

Finalement, une fois toutes ses contraintes désamorcées, l'écriture devient une vraie partie de plaisir. Et c'est à ce moment là que l'Auteur Inspiré peut laisser éclater son génie.

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