15 janvier 2006

Tout est structure

Même si la peur de l'échec est parfois très déprimante, l'écriture est globalement une activité plaisante. Et je ne parle pas du succès que peuvent engendrer des romans, ni de l'apport financier qui l'accompagne généralement. Ces deux plaisirs sont hors de portée des Apprentis Auteurs.

Par contre, le fait d'écrire en lui-même est un acte qui fait appel à une zone érogène très puissante: l'imagination. Suis-je en train de comparer l'écriture à l'orgasme? Non, ces deux plaisirs sont très différents. L'orgasme sexuel est bref mais intense, alors que le plaisir de l'écriture s'étend sur une durée plus longue, avec des (très) hauts et des (très) bas.

Comment maximiser les "hauts" et éviter les "bas"?

A mon avis, tout est dans la maîtrise de la structure du récit. Pourquoi?

Un maîtrise "de son sujet" dés avant l'acte d'écriture libèrera l'auteur d'une tâche angoissante: celle de mener sa barque à bon port. Une fois connues la trame et la longueur approximative de l'histoire, l'auteur peut se mettre en mode "automatique" (comme dans l'écriture automatique) et expérimenter des choses plus audacieuses au niveau microscopique sans s'inquiéter de partir dans des culs-de-sacs où l'on se perd.

Comment établir cette structure "de démarrage"?

Premièrement, il faut connaître certaines données fondamentales de l'histoire. Creuser un peu pour en connaître la substantifique moelle. "Je raconte quoi, au fond?"

La réponse à cette question doit être très courte. "Je raconte comment l'ambition peut mener à la folie." "Je raconte comment un histoire d'amour impossible peut déchirer des familles." Etc.

C'est le niveau le plus basique de l'histoire. "The Core of the story" pour faire à la mode. The Core - Le Coeur, pour faire des traductions approximatives!

Ce Core ne doit pas raconter le récit (la chronologie des événements concrets), mais bien l'histoire dans son acception abstraite. Quel thème est envisagé, et sous quel angle. Ce sont les deux éléments indispensables.

Il ne peux s'agit d'un thème seul. Par exemple la phrase "je vais raconter une histoire d'amour impossible" ne suffit pas à déterminer la substantifique moelle d'une histoire car elle ne nous donne aucun angle. Il faut préciser: "une histoire d'amour impossible qui rend tout le monde heureux dans l'entourage", "une histoire d'amour impossible qui amène un homme à se lancer dans la politique", etc.

Avec ces deux éléments on a une ébauche de "direction" à prendre. On ne fait pas du sur-place, ce qui est la pire chose qui puisse arriver lorsqu'un apprenti-auteur prépare mal sa prémisse.

Une fois ce Core établi, on peut broder autour pour le concrètiser:
- un début, les circonstances de l'histoire et un élément déclencheur qui fait que tout va se mettre en marche;
- un mileu, où les personnages vont interagir pour changer la donne, tenter de résoudre les conflits;
- une fin, où le problème induit par l'élément déclencheur se résoud (de manière positive ou négative).

Ce schéma classique est valable pour toutes les histoires du monde, il n'y a pas d'exception.

Dés lors, pour structurer ses idées avant l'écriture, il faut au moins connaître:
- un problème et l'élément qui le déclenche;
- le type de réction qu'auront les protagonistes face à ce problème;
- et bien souvent, la façon dont se résoud le problème.

Bien souvent, seulement, car parfois les auteurs préfèrent laisser le problème se résoudre "de lui-même", grâce à une connaissance intuitive des protagonistes et de la mécanique dramatique.

Le scénario selon ce schéma, que des auteurs comme Lavandier, McKee ou Syd Field ont largement théorisé, s'articule selon un rythme ternaire: début, milieu, fin. Ce rythme vaut aussi bien pour l'ensemble de l'histoire que pour chaque scène, chaque séquence.

Chaque élément du film aura son élément déclencheur (même implicite), son développement et sa résolution.

Ecrire un scénario c'est comme une valse, pour que ça tourne rond il faut une structure en trois temps!

10 janvier 2006

Citation

"I don't think it's very useful to open wide the door for young artists; the ones who break down the door are much more interesting."
-- Paul Schrader

07 janvier 2006

Et pourtant...

Vous n'avez aucune chance de réussir professionnellement dans le métier d'écrivain. C'est statistique. Cette pensée déprimante vous accable, et pourtant vous avez décidé de continuer à écrire.

L'idée a fait son chemin en vous. Vous vous résignez à n'être qu'un raté parmi d'autres, qui écrit pour son pur plaisir en oubliant toutes les contraintes.

Bravo.

Ne ressentez-vous pas une légère... frustration? C'est que l'espoir d'être un jour repéré par un producteur ou un éditeur fait partie intégrante du plaisir d'écrire. Il ne faut pas le nier. Ce "suspense", ce rêve, vous pousse à continuer malgré l'évidence de l'échec.

Il faut que vous enleviez consciemment cette chimère de votre inconscient. Débarassez-vous en, car elle vous rend moins bon.

Je m'explique: si vous écrivez dans l'attente d'une reconnaissance professionnelle, vous adaptez votre écriture aux exigences des professionnels, c'est logique. Or ces exigeances sont incompatibles avec la liberté dont devrait jouïr un artiste indépendant. Vous entrez dans le moule, et par la même occasion, perdez la particuliarité qui caractérise votre amateurisme. A savoir, une liberté de ton, mais aussi une liberté formelle. Aucune contrainte budgétaire, esthétique, éthique, etc.

Vous abandonnez vos privilèges pour entrer dans les bonnes grâces d'un patron invisible. Et cette distortion de l'écriture vous rend amer, car vous vous sentez sans cesse limité, bridé, castré.

Je dis "vous"... Comprenez "je".

Je réalise à quel point mes aspiration professionnelles sont néfastes au bon développement de mon art. Et pourtant j'ai du mal à me résoudre à les abandonner. Je fais aussi partie des moutons de Panurges élevés, gavés, à la sauce "Star Academy".

"Fait un petit effort et tu deviendras une star".

Et le talent dans tout ça? Et si finalement, c'est ça qui me manquait: le talent.

Et pourtant... un mécanisme psychologique me crie immédiatement: "Et pourquoi aurais-tu commencé à écrire si tu n'avais pas de talent ?"

La vaste question, c'est "qu'est-ce que le talent ?" Le talent de plaire à des producteurs? Le talent de raconter des histoires? Dans le dictionnaire, le talent c'est ce qui vient à force de travail.

Mais merde! Avec tout ce que je fais, le talent va arriver bien vite! C'est obligé: si j'écris encore et encore, je vais forcément avoir du talent.

Ce n'est pas suffisant. Beaucoup de gens ont du talent. Pour réussir, il faut plus.

Réussir... Encore une notion à définir. La réussite est une notion hautement subjective. A partir de quel moment vais-je être satisfait de ma propre réussite? Jamais. Je vise la gloire éternelle, me voilà encore victime de cette société de l'illusion.

Arrêtons-nous à une première définition de la réussite: être payé, même modestement, pour écrire, sans aucune considération pour le succès auprès du public.

D'accord, si réussir, c'est "entrer dans le métier", ais-je assez de talent? Je le pense.

Nous y arrivons!

La clé de la réussite, c'est la modestie.

"Un voyage de mille pas commence par le premier" est une citation bien connue pour quiconque se lance dans l'écriture, exercice de longue haleine par excellence.

Au lieu de m'énerver sur la faible probabilité de ma Réussite avec un grand R, avec des ambitions démesurément élevées, il me suffit de regarder lucidement ce qui me reste à faire pour atteindre la "petite réussite". C'est à ma portée: écrire, contacter des clients potentiels, collaborer, me montrer.

Ouf! Sorti d'un vilain piège.

***

Le but de ce texte était de montrer à quel point le côté psychologique est important dans le développement d'un artiste, et comment il peut le bloquer, l'envoyer sur des mauvaises pistes, le déprimer, ou au contraire lui donner des illusions impossibles.

Dés lors que l'on a conscience de ces phénomènes, on les appréhende plus sereinement et l'on peut s'adonner à l'écriture sans soucis.

03 janvier 2006

Grosse déprime

Notre monde moderne a mis en place une mythologie mensongère qui ruine bien des vies: on nous fait croire que chacun peut devenir quelqu'un à la seule force de sa volonté.

N'importe quoi.

Si vous me lisez, vous avez probablement des aspirations d'artiste. Vous êtes plus ambitieux que de nombreuses personnes dans votre entourage, vous créez des choses, vous essayez de faire du beau à partir de rien. Vous construisez des mondes à la force de votre imagination. Vous êtes quelqu'un d'éduqué, de cultivé, de motivé. Vous vallez mieux que bon nombre des êtres humains... Erreur. Grave erreur.

99% des gens vous ressemblent tellement. Vous êtes d'une banalité affligeante. Vous n'êtes pas moins bon, vous êtes tout simplement médiocre comme les autres.

Vous pensez avoir fait du chemin, pourtant. Vous avez consciencieusement lu des livres théoriques, écrit pas mal de choses, collaboré avec d'autres apprentis.

Vous n'êtes qu'un loser comme les autres, qu'est-ce que vous croyez? Vous pensiez réellement être meilleur que les autres avec quelques années de travail comme ça? N'importe quoi, tout le monde peut en faire autant que vous. C'est à la portée du premier venu, en fait.

Mais pourtant, certains élémens troublants vous font penser le contraire. Exemple: vous êtes le seul de votre quartier, école, bureau, à écrire des trucs. Statistiquement, vous être premier sur des milliers.

On continue le raisonnement: il y a un type comme vous dans chaque ville. Il y a des centaines des milliers de villes dans le monde. Donc il y a des centaines de milliers de types qui sont numéro un (DANS LEUR DOMAINE! Ils ne sont pas supérieurs aux autres par ailleurs) dans leur coin.

Ca fait de vous, en pourcentage, un 0.0001%

Bravo! Vous êtes une merde!

Alors maintenant, vous attendez la chute, ou j'explique que malgré tout avec plus de travail vous pouvez quand même y arriver. Vous êtes vraiment un peu petit mouton de Panurge, mystifié comme les autres par la mythologie moderne.

Il n'y a pas de chute, c'est la vérité. Vous ne deviendrez rien car vous n'avez aucun talent. Vous agacez les autres avec vos textes insignifiants.

Voilà, c'est tout.

Arrêtez.