27 février 2008

Le règne des séries

Les séries télévisées ont vraiment pris le dessus ces dernières années. Si les années 90 avaient Urgences, Friends et X-files (sans oublier le "cas" Twin Peaks), les années 2000 abondent en séries à succès.

Lost, 24H, Prison Break, Grey's Anatomy, CSI:Las Vegas, CSI:Miami, CSI:Manhattan, Dr House, les Sopranos, Battlestar Galactica, Alias, les frères Scott, Cold Case, Entourage, Nip/tuck, Six feet under, Desperate Housewifes, Smallville, Heroes, Monk, et je m'arrête là car je suis à court d'idées.

La principale différence avec les séries plus anciennes (les années 90 avaient aussi Buffy, Dawson et Xena) c'est que ces nouvelles séries passent (ou sont passées) en prime-time. Elles ne sont plus reléguées à 16h30, ou pire, le matin pour les ménagères au chômages, non, elles s'adressent au plus large public possible. C'est le consensus présumé mou du prime-time qui encense des séries aussi différentes et originales. On se demande pourquoi les séries policières françaises pédalent dans la semoule. Il ne s'agit pas seulement de budget, mais surtout de créativité. Et la créativité, miracle, c'est une ressource gratuite!

Comment nous, pauvres européens, pouvons-nous rivaliser avec les américains sur le terrain en pleine ébullition des séries TV de prime-time (les fameux "52 minutes")? On a coutume de dire que les décideurs sont très frileux. Pourtant j'ai du mal à croire qu'un décideur frileux puisse diffuser "David Nolande", série fantastico-mystique, en prime-time. Ou des pièces de théâtre de Feydeau. Ou des adaptations du patrimoine romanesque français. On est loin de Julie Lescaut (mais, c'est vrai, on n'est pas sur la même chaîne). Il y a donc tout de même des possibilités.

Commençons par le début: pour "tenir" une série, il faut d'abord un concept de base fort et accrocheur ("des gens comme vous et moi découvrent qu'ils ont des super-pouvoirs"; "un type tatoue le plan d'une prison sur son corps pour libérer son frère qu'il croit innocent"; "c'est le docteur le plus doué de sa génération, mais c'est une ignoble crapule"; etc.). Ce n'est pas tout: il faut également des personnages attachants, bien caractérisés, pas gnan-gnan, pas cliché, pas trop lisses, pas trop parfaits mais pas trop répulsifs non plus. Imaginez le concept de Prison Break avec deux personnages de 10 ans plus jeunes, issus de l'immigration et fans de rap. Ca change fameusement la donne. Et le ton de la série avec. Les personnages des séries françaises sont souvent faiblards par rapport aux américaines. Comparez le charisme de Docteur House avec heu... Les Cordier, juge et flic?

Mais ce n'est toujours pas fini. Il nous manque un ingrédient primordial pour tenir une série: la promesse que le concept a les reins assez solides pour durer, dans le meilleurs des cas, indéfiniment. La série anglaise Doctor Who existe depuis 45 ans et approche de son 700ème épisode (l'astuce c'est que le personnage principal a la faculté de se régénérer dans un autre corps, permettant de changer d'acteur assez facilement). Est-ce que votre concept est assez bon pour envisager cette longévité? Si ce n'est pas le cas, à quoi bon commencer?

Prenons le cas "Prison Break". Le côté "sériel" de l'émission a été très discuté avant sa production, et on peut aisément comprendre pourquoi: quid après la première saison? Comment une série qui s'appelle "Prison Break" peut décemment continuer après que tout les protagonistes soient sortis de prison? Et ça c'est vérifié: la saison 2 (à l'extérieur) n'a pas convaincu, et la saison 3... se déroulait dans une autre prison. Ce n'est pas sérieux.

En réalité, souvent les concept les plus simples sont les plus déclinables: 5 amis dans un appartement (mais alors le concept est faible), Will Smith le garçon des rues recueilli dans une famille riche de Bel-Air (et la série doit beaucoup à ses personnages, la caractérisation du majordome Jeffrey est très réussie), ou les sempiternels "procedurals" policiers américains: 1 épisode = 1 affaire criminelle.

Il ne faut pas sacrifier le bon concept pour la bonne durée de vie, mais il faut éviter les concepts qui meurent après 10 épisodes.

Maintenant que nous avons les ingrédients, voyons comment nous pouvons les agencer pour passer en prime-time sur une chaîne française. Il y a des contraintes supplémentaires: nous ne pouvons pas viser une "niche", car il faut plaire à tout le monde. Adieu donc les séries de science-fiction, les romances pour filles, ou les sitcoms "générationelles".

Mais si l'on veut être original et novateur, adieu aussi les vieux classiques: policier (fini les Julie Lescaut), drame (fini Louis la Brocante, fini L'Instit), comédie familiale (fini Joséphine Ange Gardien). Il faut essayer de dégager d'autres genres, qui ont un potentiel grand public mais qui ont été ignorés jusqu'à présent.

L'espionnage, par exemple. 24h chrono, Alias, Veronica Mars. Pourquoi ne pas essayer la version française? Léa Parker a tenté le coup, mais sans bien exploiter le côté espionnage. Ca ressemblait trop à du classique policier chiant. Sans copier les originaux, il y a moyen de faire quelque chose de bien avec la culture française. J'ai vu sur France 2 (dans l'émission Infrarouge) des reportages très impressionnants sur les services secrets, la légion étrangère, etc. C'est un réservoir à intrigues vierge. Il faut une jungle, des fusils, et des costumes kakis. Et let's go pour 52' avec le colonel Trucmuche, un ancien d'Algérie, en prime-time sur TF1 avec beaucoup de morts, d'action et de rebondissements.

La comédie familiale (=molle du genou, souvent pas drôle) vit ses dernières heures. Pourquoi ne pas la remplacer par des comédies plus grinçantes? De l'humour plus moderne, en somme. The Office (qui a été repris en français mais c'était un fiasco), Arrested Development, My Name is Earl, etc. Il y a toute une nouvelle génération de comédies à l'humour décalé aux USA, et ce genre n'est pas vraiment exploité ici. Au lieu de reprendre les formats existants, utiliser le contexte français pour faire une nouvelle série, basée sur l'actualité. Par exemple, dans le bureau de communication du président de la République, ou dans une agence du publicité dans le quartier de la Défense, ou que sais-je encore...

En réalité, le genre français le plus dynamique, c'est les séries ultra-courtes. Kamelott, c'est un super concept (même si je ne suis pas fan de leur humour en général), avec une écriture assez moderne. Et ça marche. Samantha Oups, j'en ai horreur, mais ça a le mérite d'être dynamique, ça bouge.

La différence entre les très courts (6 min) et les 26 et 52 minutes, c'est évidemment le budget. Est-il hérétique de penser qu'on pourrait produire du 26' avec du matériel léger (à la façon d'Arrested Development) à la faveur d'un scénario plus dynamique? Pour le 52', cela me semble compromis. Il faut donc trouver des idées de scénario en décors "fixes" sans être ennuyeux pour autant.

Nous poursuivons notre recherche de la série de 52' de prime-time parfaite, sur une chaîne comme TF1 (= avec un bâton dans le cul niveau programmation), un budget minable, mais des acteurs compétents et une écriture dynamique, au prochain épisode!

25 février 2008

La chasse aux clichés

Un cliché, c'est un élément spécifique d'un scénario tellement utilisé et usé jusqu'à la corde qu'il en devient d'une banalité affligeante.

Les femmes sont toujours hystériques face au danger et doivent leur salut au héros, grand mâle viril: cliché.

Lors d'une course poursuite en voiture, il y a toujours deux types au milieu de la rue qui portent une grande vitre: cliché.

Dans les procès, le gentil juge est toujours noir et le méchant procureur est toujours une femme acariâtre: cliché.

Et la liste est longue... Pourquoi tant de clichés? Tout simplement parce qu'ils sont des raccourcis de la pensée. Ils permettent au scénariste une gratification immédiate. Ce sont des techniques éprouvées, elles fonctionnent. La femme hystérique va mettre le héros en valeur: c'est une gratification immédiate pour la dramaturgie, le rôle du protagoniste est dédoublé. Le sort de sa bien aimée dépend de lui. La vitre au milieu d'une course poursuite: gag garanti. Le juge noir: toutes les ligues des droits de l'homme sont contentes. Oui, d'accord, sauf que cette configuration a tellement été exploitée que le spectateur s'en est lassé, et que la gratification immédiate tombe totalement à plat. Finalement, le cliché ne provoque aucun sentiment. C'est du préformaté. C'est le fast-food du scénario: on a mangé, certes, mais pas avec plaisir.

Il faut donc éviter le cliché à tout prix. Comment?

Tentons d'abord de comprendre comment les clichés s'immiscent dans les scénario: soit par ignorance, soit par fainéantise. Les bons scénaristes connaissent l'histoire du cinéma, ils ont vu les classiques. L'ignorance n'est donc pas le fait des bons scénaristes, mais des amateurs ou des très jeunes. Reste la fainéantise... En effet, lorsque le scénariste réfléchit à deux fois, il a tendance - magie! - a retenir les solutions originales. C'est quand, emporté dans une envolée lyrique, il écrit sans préparation, qu'il baisse sa garde et laisse filer plein de clichés. Et c'est normal: le cliché est un raccourci de la pensée, c'est lui qui arrive en premier.

Pour s'en convaincre, faisons une petite expérience: imaginez un scénario dans lequel une jolie adolescente est poursuivie par un vilain tueur. Elle court dans une forêt en pleine nuit. Il n'y a personne. Elle a 20 bons mètres d'avance. Le tueur la suit mais ne parvient pas à la rattraper. La scène devient limite chiante. Comment faites-vous pour augmenter le suspense sans faire intervenir un troisième personnage?

...

Si vous avez répondu: la fille s'accroche les pieds dans une racine et tombe, vous avez perdu! C'est un ignoble cliché. Mais soyons juste: je ne vous ai pas laissé beaucoup de temps pour réfléchir. Vous avez répondu du tac au tac et comme les clichés sont les réponses disponibles immédiatement, à toute heure, en libre service et à très bon marché, il était normal de répondre ça.

Si maintenant on y réfléchit à deux fois, on peut trouver des solutions moins banales: la fille - tout en courant - compose le numéro de la police sur son portable mais il n'y a du réseau qu'à un certain endroit - ce qui l'oblige à s'approcher du tueur; le tueur sort un couteau de sa manche et le lance sur la fille; etc.

Mais il y a une solution beaucoup plus amusante: détourner le cliché. Quand on est conscient qu'on a une situation potentiellement "cliché" dans un scénario, que le spectateur s'attend à un sempiternel cliché, on peut lui faire un cadeau, lui aménager une surprise bienvenue. On utilise les ingrédients du cliché, mais on les réarrange pour créer un effet nouveau. Par exemple, dans notre scène, c'est le tueur qui se prend les pieds dans une racine et qui tombe. L'adolescente, étonnée, se retourne - tout en continuant à courir. Du coup, elle se prend une branche d'arbre en pleine poire et perd connaissance.

On a détourné le cliché pour en faire un gag, et pourtant la résolution dramatique de la scène reste identique: le tueur aura la fille. Les clichés sont donc toujours remplaçables. D'ailleurs, plus globalement, dans un scénario, rien n'est "obligé". Aucun élément n'est indispensable pour faire avancer un scénario: on peut toujours remplacer un élément par un autre. Cette vision des choses permet de se séparer plus facilement des idées qu'on chérit mais qui ne s'emboîtent pas organiquement dans le scénario.

24 février 2008

Les affaires reprennent!

L'Auteur Inspiré renaît de ses cendres, car les nouvelles sont bonnes! Je vous avais promis de revenir lorsque mon premier long métrage sortirait en salle. Là, il va falloir calmer les enthousiastes: je n'ai fait qu'un peu de télévision. Pendant les six derniers mois, en effet, j'ai participé avec beaucoup de plaisir à l'élaboration d'une série de dessins animés qui vient de trouver un producteur. Le chemin sera encore long avant que la série ne soit diffusée pour de bon, mais j'ai accumulé assez d'anecdotes pour vous raconter mon expérience.

La principale nouveauté pour moi ça a été le travail en équipe. J'avais déjà écrit un scénario en duo, mais ça n'avait pas vraiment bien fonctionné: le réalisateur avait des idées très fixes qui ne supportaient pas le moindre changement narratif. Une collaboration vouée à l'échec dés le départ. La collaboration entre des scénaristes ne fonctionne que lorsqu'ils sont tous prêts à lâcher du lest, à ne pas s'accrocher à leurs idées comme à un bibelot précieux.

Dans ce cas-ci, nous étions quatre scénaristes, dont un "chef d'équipe" qui a conçu l'univers de départ et une trame générale. J'ai été recruté en dernier lieu, pour compléter l'équipe. Les personnalités sont très différentes: le chef d'équipe et son principal collaborateur ont une fougue créatrice presque infinie, et c'est très agréable avec des gens qui ont une idée par seconde. Et c'est encore plus agréable de pouvoir leur dire sans détours qu'une idée sur deux est mauvaise sans qu'ils n'en prennent ombrage. C'est comme ça qu'on travaille vite et bien: les quatre cerveaux sont des machines à idées qui ne sont pas des divas susceptibles.

Quand l'idée est mauvaise, on la largue, définitivement. Parfois, elle ressort trois semaines plus tard, dans un autre contexte, et trouve naturellement sa place. Une bonne idée se "sent". Elle fait l'unanimité dans l'équipe. Elle provoque l'enthousiasme, et, plus important, elle provoque dix nouvelles idées. Une mauvaise idée assèche l'inspiration. Cet effet de groupe n'existe évidemment pas dans l'écriture en solo, où il faut faire entièrement confiance à son flair et à son bon goût. Et l'expérience de l'écriture en équipe me montre que le bon goût est très subjectif et diffère énormément d'une personne à l'autre.

Pour surmonter les différences d'opinion entre les membres de l'équipe, il faut avoir beaucoup d'humour. L'humour fait tout passer: une mauvaise idée, on en rigole. Une bonne idée, on la tourne en dérision. Plus rien n'a d'importance, et finalement, seule les éléments vraiment bons pour le script font leur chemin, détachés de toute valeur d'appartenance à leur auteur.

Evidemment, dans l'écriture de groupe, tout n'est pas rose: la frustration est souvent présente, comme en démocratie. Quand les ecolos gagnent les élections, tout le monde est prié de trier ses déchets, même ceux qui ont voté FN. De même, lorsqu'une idée que l'on aime pas passe malgré tout, il faut apprendre à vivre avec. Si la majorité de l'équipe pense que c'est une bonne idée, il faut peser le pour et le contre: est-ce que ça vaut vraiment la peine que je gaspille ma salive pour combattre cette idée?

Finalement, l'écriture de groupe, c'est un microcosme de la vie en société. Il y a un chef, un petit comique, un mystique, un bouc émissaire, un dictateur, un soumis, un méchant, un gentil. La place du bouc émissaire est particulièrement pénible, et je pense qu'elle ne peut être tenue que par un très bon scénariste: on le raillera sur sa coupe de cheveux, mais jamais sur ses idées. Si le bouc émissaire est le scénariste le plus faible, ce sont ces idées qui seront sujettes à moqueries, et finalement son travail tout entier: sa place dans l'équipe est menacée. On peut se moquer d'une personne (il y a une réelle utilité sociale à cela dans un groupe, c'est une fonction d'évacuation du stress), mais pas de son travail de scénariste, sinon l'ambiance devient vite infernale.

En société, il faut être solidaire et exigeant à la fois. Chacun œuvre pour le bien d'un scénario, une construction commune. C'est de l'œuvre dont on devrait se souvenir, pas de l'artiste.