10 janvier 2011

Dinner for Schmucks ou les limites du modèle américain

D'abord, les définitions:

Ce que j'appelle le "modèle américain" est celui habituellement enseigné dans les livres des grands gourous du scénarios US tels que Syd Field, Linda Seger ou Robert McKee. Autrement dit, le conflit entre un bon protagoniste et un méchant antagoniste qui escalade pendant 2 actes pour se résoudre au troisième.

"Dinner for Schmucks" est la récente adaptation hollywoodienne de la comédie française "Le dîner de cons" écrite et réalisée à l'époque par Francis Veber. On doit le remake au tâcheron Jay Roach, connu pour Austin Powers. Je considère l'original comme une des meilleures comédies françaises de l'histoire du cinéma, pas moins!

Ensuite, la critique:

Dinner for Schmucks est une adaptation désastreuse, comme l'ont été avant elle toutes les autres adaptations de comédies françaises: Jungle Fever (Un Indien dans la Ville), The Birdcage (La Cage aux Folles), ou encore Just Visiting (Les Visiteurs).

Bien sûr, on pourrait dire un peu vite que la multiplication des "cons" est la cause du désastre. Là où le film français se contentait sobrement d'un seul con durant tout le film, la version US, comme à son habitude, en jette plein à la figure: plus de cons, plus de gags, juste?

Sauf que je pense que la réelle cause de la déception se situe ailleurs.

A mon sens, le coupable est le fameux modèle américain du protagoniste/antagoniste, suivi ici à la lettre. Du coup, les scénaristes Michael Handelman et David Guion ont du tordre l'histoire originale pour la faire entrer dans le moule.

Exemple du protagoniste:

Dans le film français, Pierre Brochant (joué par Thierry Lhermitte) est un salaud qui s'assume, et ce de manière très claire dés le départ. Cela ne l'empêche pas d'être le protagoniste du film.

Pour les américains, un protagoniste salaud, c'est inacceptable! Handelman et Guion ont donc transformé Brochant (Paul Rudd) en gentil employé, entraîné contre son gré dans les divagations cruelles de ses patrons.

Ca ressemble à une bonne idée, puisque ça rend le protagoniste tout de suite plus agréable aux yeux du public, et que ça l'oblige - vu la pression professionnelle - à beaucoup de sacrifices pour garder son "con" à portée de main. Donc, à première vue, un bon deal pour le scénario...

Sauf que ça va entraîner une incohérence qui va pas mal plomber le film: la femme de Brochant lui reproche de participer à ce dîner de cons. Dans le film français, il s'en fiche, et tant pis si sa femme râle un peu, elle reviendra. Dans le film américain, Paul Rudd s'excuse, explique ses raisons, que c'est malgré lui, que c'est pour le boulot, pour lui payer un appartement de luxe, mais peu importe, sa femme se fâche et se tire. C'est pas très logique!

Exemple de l'antagoniste:

Dans le film français, l'antagoniste (François Pignon, joué par Villeret) est le gentil de l'affaire, et en fin de compte le "héros". C'est l'inverse de tout ce que le modèle américain propose.

Dans Dinner for Schmuck, les scénaristes ont forcé la dose d'antagonistes. Mais ce n'est certainement plus le rôle du con (Steve Carrell). Il est en réalité relégué, en termes dramatiques, au rang d'adjuvant. Les antagonistes, il faut les trouver ailleurs:

D'une part, il y a les patrons de Paul Rudd: des cruels salopards qui mettent la pression sur lui. Dans le film français, Lhermitte est seul responsable de ses actes.
D'autre part, il y a l'amant de la femme de Brochant. Dans la version originale, on ne le voit jamais, c'est une chimère, qui en fin de compte n'a jamais couché avec elle. Dans la version US, il est omniprésent, oscille entre le statut de gentil et de méchant, on ne sait guère ce qu'il vient faire dans cette galère. Bref, il ne sert à rien.

Conclusion:

Ce fameux "modèle américain" fonctionne à merveille lorsque l'histoire s'y prête. Mais vouloir à tout prix faire entrer une histoire dans un moule qui ne lui convient pas, c'est aller au devant de nombreux problèmes, comme nous l'avons vu pour ce malheureux Dinner for Schmucks. Soyez donc vigilants avant de vous ruer sur les ouvrages de Syd Field et de Robert McKee pour résoudre tous vos soucis.

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