23 avril 2011

United Colors of Jean-Luc : analyse d'un ratage

La chaîne Comédie! se déchaîne cette année, avec plein de nouvelles séries faites maison, c'est du jamais vu. Parmi elles, "United Colors of Jean-Luc", la sitcom de Fabrice Eboué. Ca parle du patron d'une entreprise qui s'intéresse moins à son chiffre d'affaire qu'à la diversité ethnique de ses employés.

J'ai regardé quelques épisodes et malheureusement je n'ai pas beaucoup ri. C'est dommage, parce que le concept me plait bien, Fabrice Eboué n'est pas le pire de la bande à Jamel, et le casting est sympathique (avec notamment un des deux Lascars Gay).

Où est donc l'erreur? Analyse.

La confusion des genres
De nos jours, le mot sitcom regroupe en réalité deux types de séries humoristiques qui ont des codes assez différents: la sitcom mono-caméra et la sitcom devant public. Les grands classiques comme Seinfeld ou Friends sont joués devant un public, en direct, et les rires sont authentiques.

Les sitcoms mono-caméra (par exemple Arrested Development, Curb Your Enthusiasm, The Office) sont tournées comme des petits films, généralement caméra à l'épaule, avec ou sans la caution du "faux documentaire". Généralement, les séries mono-caméra sont dépourvues de rires enregistrés, car l'humour est plus subtil et se prête beaucoup moins bien à cet artifice.

Il existe aussi un genre bâtard, la sitcom tournée en studio mais sans le public, avec des faux-rires rajoutés en post-production. C'est la honte des sitcoms (pensez AB production).

United Colors of Jean-Luc se veut une sitcom mono-caméra, dans l'esprit de The Office. Mais les concepteurs de la série ont commis une grosse boulette: par peur ou par ignorance, ils ont cru bon de devoir rajouter des rires pré-enregistrés après chaque gag. Non seulement c'est contraire aux codes de la sitcom mono-caméra, mais en plus ça rend l'ensemble de l'entreprise glauque et triste à souhait. Un faux rire derrière une vanne pas drôle, ça nous ramène aux productions AB, style Hélène et les Garçons, et je crois qu'aucun auteur ne désire vraiment en arriver là.

Cette méconnaissance des codes de la sitcom plombe pas mal la série, qui, loin d'être parfaite, possède par ailleurs quelques qualités.

Le concept
La caricature des défauts d'un personnage, c'est l'ingrédient de base de la comédie. Molière se moquait déjà des grands stéréotypes de son époque, le radin, l'hypocondriaque, le misanthrope, etc. Le concept du type hyper politiquement correct est donc a priori intéressant, car il correspond bien à l'esprit de notre époque.

Pourquoi alors la série n'est-elle pas comique?

Tout simplement, parce que si Eboué a bien identifié un personnage comique, il a négligé les bases de la construction dramaturgique. Le personnage de Jean-Luc n'a NI OBJECTIF, NI OBSTACLE, NI ENJEU. Or, c'est le trio obligatoire de tout scénario.

Ni objectif: Jean-Luc est politiquement correct, et veut gérer une société diversifiée. Dés le premier épisode, les 5 continents sont représentés parmi ses employés. Objectif atteint. Fin de l'histoire?

Ni obstacle: il est riche et possède les pleins pouvoirs au sein de l'entreprise. Rien ne vient donc contrecarrer ses plans. Aucun conflit, donc aucun rire. Ces deux éléments vont main dans la main, on ne peut jamais s'en passer.

Ni enjeu: qu'il réussisse ou non à gérer une société multiculturelle, la vie de Jean-Luc n'en sera pas bouleversée. Rien ne l'y oblige, il n'y aura pas de récompense ni de punition en cas de réussite ou d'échec. Donc c'est plat et ennuyeux. Il faut toujours courir derrière une carotte, ou fuir un bâton, surtout dans une comédie, car c'est la source du rire.

L'humour
Tout cela est d'autant plus dommage que je sais Fabrice Eboué drôle. Sur scène, du moins... Car l'humour de sketche et l'humour de sitcom ne sont pas exactement les mêmes. La plupart des vannes que j'ai relevé dans les quelques épisodes que j'ai visionné ont tout le potentiel de fonctionner dans un cadre scénique. Le problème n'est donc pas que les auteurs ne sont pas drôles, c'est qu'ils ne parviennent pas à trouver le bon emballage pour les vendre au format sitcom.

Le rythme d'une sitcom est assez particulier. Les vannes doivent arriver à un début soutenu, et constant. La moyenne est de 100 rires minimum en 22 minutes.

Dans le pilote de United Colors of Jean-Luc qui dure 23 minutes, j'ai compté (et c'est facile, il y a les rires enregistrés) exactement 57 tentatives de vannes. C'est à dire que même si ces vannes faisaient mouche à chaque fois (et c'est loin d'être le cas), on ne serait encore qu'à la moitié de l'objectif à atteindre. Ca, c'est inexcusable. Quand on veut faire une sitcom, on fait au moins l'effort de fournir un nombre de rires minimum.

Le pilote de H dépasse de loin les 100 rires: ce n'est pas un hasard si la série est toujours diffusée 10 ans après!

Un débit trop lent, donc, mais aussi une mise en forme un peu foireuse. Dans une sitcom, on est dans un enchaînement industriel de vanne/rire/vanne/rire, sans arrêt. C'est ce flux tendu qui autorise les facilités, des calembours foireux et les clichés éculés. Car le public sait toujours qu'une autre vanne arrive directement après. Mais si on laisse un blanc entre deux vannes, le public à le temps de reposer ses zygomatiques, et sera donc plus exigeant sur la qualité de la prochaine vanne. Or, United Colors of Jean-Luc ne bat aucun record dans ce domaine.

Certains répliqueront peut-être qu'il faut laisser le temps à une situation de s'installer, de rire d'une situation générale plutôt que d'un calembours précis. Mais les sitcoms ne sont pas le meilleur format pour faire ça. Si je peux emprunter une métaphore à la musique, les vannes d'une sitcom doivent être jouées staccato, et non pas legato. Ca doit arriver comme des flèches acérées, qui délimitent très précisément le moment où il faut rire.

Conclusion
Même si je suis heureux que les chaînes investissent encore dans de la sitcom, je me demande parfois si les créateurs en ont déjà regardé une! Une blague dépend aussi bien de son contenu que de son emballage, et en sitcom c'est un emballage très particulier, qui n'est pas habituel en France. En tout cas, United Colors of Jean-Luc rate son objectif de nous faire rire (quoique j'ai lu des critiques positives, donc je suis peut-être une exception: faites-vous votre opinion).

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