08 août 2011

Quel est votre propos?

Une des questions qui m'ont été posées lors du concours d'entrée au CEEA, au sujet du synopsis que j'avais écrit, était:

Quel est votre propos, dans ce synopsis?

Et moi de répondre par un silence, l'oeil hagard...

Après quelques secondes je leur demande ce qu'ils veulent dire par là? Mon propos? La morale de l'histoire vous voulez dire? Ah non, pas la morale, le propos. On m'assure que chaque histoire possède bien un propos, et je suis prié de donner le mien.

Faute de meilleure définition du terme, je suis obligé de répondre que mon synopsis ne contient pas de morale: je l'ai écris pour l'amusement des spectateurs, et que je n'ai pas de plus hautes ambitions.

Ouh! L'erreur! Le visage horrifié, les membres du jury biffent nerveusement leurs carnets, comme si je venais de franchir le Rubicon.

Bonne leçon: au CEEA, on veut des auteurs qui ont un propos. Mais on ne nous dit pas exactement ce que c'est.

Je vais donc essayer de le faire aujourd'hui.

J'ai fait quelques recherches croisées sur les mots "propos" et "scénario" et force est de constater que les chercheurs et autres académiciens en sont plus friands que les scénaristes eux-mêmes, qui parlent plus volontiers de "thème".

Le "thème" du scénario. Voilà l'objet de ma recherche.

Je veux trouver la définition. Je vais donc poser la question à des scénaristes hollywoodiens, des professionnels oscarisés, connus et reconnus. Je me dis qu'ils ont sûrement une très bonne réponse.

(Si vous me croyez pas, je vous assure qu'avec internet il est très facile de joindre ces gens! Et ils répondent!)

Mais là, à ma grande déception, il semble bien qu'il n'existe aucun consensus autour de ce mot, le "thème". Certains parlent d'un élément qui assure la cohésion de l'oeuvre, comme une sorte de mot-clé qui chapeaute chaque séquence, chaque scène, chaque réplique. Mais aussitôt ils ajoutent qu'ils n'écrivent jamais leurs histoires en pensant au thème. C'est quelque chose qui s'analyse après coup... C'est ce que font les académiciens, pas les artistes.

En tout cas, ce qui est sûr, c'est que j'avais tort au sujet de la "morale": ça n'a rien à voir. Une morale est une réponse à une question donnée ("il vaut mieux arrêter la drogue"). Le thème, en réalité, c'est la question elle-même ("jusqu'où la drogue peut-elle nous déshumaniser?").

Donc lorsqu'on vous demande "dans votre scénario, quel était votre propos?", répondez par une question (cette technique fonctionne pour draguer les filles et impressionner les intellectuels de pacotille).

Ceci dit, ça nous avance pas beaucoup plus sur l'utilité du thème, en pratique, pour l'auteur. Il y a deux écoles: ceux qui découvrent leur thème en cours de route, et s'en servent consciemment pour faire des choix artistiques qui explorent les mêmes territoires tout au long de l'oeuvre. Cela donne une grande cohésion à l'ensemble: les mêmes obsessions reviennent, les mêmes idées sont illuminées par plusieurs côtés. Puis il y a ceux qui négligent le thème du début à la fin, et, suivant leur instinct, font des choix artistiques qui leur semblent cohérents.

Pour un long débat sur la question (en anglais) : le forum http://messageboard.donedealpro.com/boards/showthread.php?t=63186 laisse les scénaristes amateurs et pros se déchirer pendant des dizaines de pages.

Pour moi le point à retenir de ce forum, c'est que lorsqu'on demande au scénariste de Minority Report quel est son thème (des années après la sorti de film!), il répond "j'en sais rien".

Ceci dit, je serais injuste si je disais qu'on peut se débarrasser du thème aussi facilement. Une bonne question est tout de même posée: "Une histoire sans thème vaut-elle la peine d'être racontée?"

On pourra débattre longtemps sur la question.

Je reste persuadé que demander à un scénariste "quel est votre propos?", c'est de la branlette intellectuelle.

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